Mesurer la pluviométrie grâce à la téléphonie mobile

Lecture rapide

  • La technologie mise au point par une équipe internationale de chercheurs, repose sur certaines particularités connues des ondes électromagnétiques
  • Elle permet de mesurer la pluviométrie avec une plus grande efficacité que les outils traditionnels utilisés par la plupart des pays africains
  • De nombreuses applications sont envisagées, notamment dans le secteur agricole.

Par: Mathieu Bonkoungou

Une équipe de chercheurs du Laboratoire de Matériaux et Environnement (LAME) de l’Université de Ouagadougou, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut français de Recherche et de Développement (IRD) vient de mettre au point une technique permettant de mesurer la pluviométrie, en se basant sur des informations recueillies par les opérateurs de téléphonie mobile, dans la transmission du signal entre deux pylônes.

Les résultats de l’étude menée au Burkina ont été publiés en juillet dernier dans la revue “Geophysical Research Letters”.

François Zougmoré, professeur titulaire de physique à l’université de Ouagadougou et directeur du LAME, les étudiants doctorants Ali Doumounia et Modeste Kacou, Frédéric Cazenave, ingénieur de recherche au Laboratoire d’études des transferts en hydrologie et environnement à Grenoble et à l’IRD et leur collaboratrice, Marielle Gosset, du Laboratoire Géosciences Environnement de Toulouse, sont partis du principe connu de l’atténuation du signal hertzien par les gouttes d’eau.

“Quand une onde dans sa propagation rencontre des gouttelettes d’eau, même la vapeur (mais l’action est plus visible avec les gouttelettes d’eau), il y a une partie qui est absorbée, c’est-à-dire prise par la matière qui est traversée, une autre partie est réfléchie, c’est-à-dire diffusée, et une troisième est transmise”, explique François Zougmoré.

“En général, la partie qui est transmise est d’un point de vue de la puissance, plus faible que la partie incidente”, poursuit le chercheur.

“Au niveau des opérateurs de télécommunication, l’action de la pluie est suivie avec attention. Entre deux pylônes, ils mesurent de façon régulière et systématique la puissance qui a été émise et la puissance qui a été reçue. Entre le moment où ils envoient et le moment où ils reçoivent, ils ont le temps de mesurer et de voir, s’il y a eu un abaissement ou une diminution importante de la puissance. Si la puissance diminuée est importante et ne permet pas une bonne réception, les opérateurs réajustent en augmentant la puissance, afin de permettre la poursuite ou la continuité de la réception par les abonnés.”

Ces mesures systématiques permettent de pouvoir remonter et de trouver la quantité d’eau qui a perturbé l’onde.

Le travail des chercheurs repose donc sur la capacité de trouver la quantité de pluie tombée, en partant de l’atténuation de l’onde.

L’un des avantages que présente cette innovation est qu’il est plus fiable que les pluviographes utilisés par les services de la météorologie, au niveau national.

“Ces fluviographes ne présentent que 400 cm2 comme surface de captation. Il faudrait donc placer une quantité énorme de pluviographes pour savoir la quantité d’eau tombée sur une grande superficie et la météorologie nationale n’en a pas les moyens”, explique encore François Zougmaré.

Les pylônes de la téléphonie mobile couvrent densément le territoire, même les zones les plus reculées du pays.

La compagnie de téléphonie mobile Telecel avec laquelle les chercheurs ont collaboré pendant la durée de l’étude dispose d’un pylône tous les 30 km.

Sur cette distance, les chercheurs ont pu savoir quelle est la quantité de pluie tombée, vu que l’onde aura parcouru cette distance et c’est sur cette distance que l’intégration est effectuée.

Les autres méthodes, le radar et le satellite, sont certes précis, mais hors de prix pour la plupart des pays africains.

Quant aux applications qui pourraient résulter de cette découverte, les chercheurs sont intarissables.

Un atout pour l’agriculture

En menant l’étude, l’objectif principal des chercheurs était de mettre à des données fiables et gratuites sur la pluviométrie à la disposition des chercheurs, pour la réalisation de modèles hydrologiques et des médecins qui travaillent sur le paludisme, afin de leur permettre de prendre en compte les problèmes de paludisme dans certaines régions affectées par les inondations.

L’étude avait également pour objet de permettre aux décideurs d’avoir des données pluviométriques fiables susceptibles de leur permettre de prendre les dispositions idoines en cas d’inondation.

Pour Modeste Kacou, étudiant en thèse de physique de l’atmosphère, “l’objectif visé est d’arriver à améliorer les connaissances sur les différents systèmes pluvieux, afin de mettre en place à court ou moyen terme, des systèmes d’alerte qui permettraient de réduire l’impact des phénomènes météorologiques sur les populations”.

Selon Ali Doumounia, la technique permet également de localiser rapidement les poches de sécheresse annonciatrices de déficits céréaliers. 

“Nous sommes dans la zone sahélo-sahélienne et environ 78% de la population burkinabé ne vivent que de l’agriculture pluviale. Donc quantifier la pluie pourra permettre à ces populations d’aborder un peu plus tôt la saison des pluies, explique le chercheur, dont la thèse porte sur le sujet de la quantification de la pluie à partir des liens hertziens.

“Nous connaissons l’importance de l’eau pour un pays agricole comme le Burkina Faso. Il est bon de savoir la quantité d’eau tombée pour le remplissage des barrages hydro-électriques et pour faire des prévisions. Et même pour le changement climatique. Pour pouvoir faire des projections, il faut avoir des informations fiables et donc actuelles. Si nous arrivons donc à donner des informations fiables sur les quantités de pluies, nous pourrons sur cette base avoir de meilleures projections par rapport au modèle climatique.”

Les chercheurs estiment que technologie mise au point pourrait également être intégrée dans les services météorologiques d’autres pays africains.

“Il n’y en a pas beaucoup qui ont des radars, alors qu’ils sont couverts par la téléphonie mobile. Par exemple la compagnie Airtel couvre à elle seule 85% du territoire africain. Donc si Airtel livre déjà les données qu’elle a en sa possession, cela pourrait être suffisant pour donner des informations sur cette étendue. Nous ne comptons pas garder cette innovation pour nous”, explique le chercheur.

Les initiateurs envisagent du reste de former des membres des services météorologiques du Mali, du Niger et du Togo, entre autres, pour qu’ils apprennent à utiliser le dispositif afin de réaliser des cartes des précipitations et aident à la prévision et à la prévention des risques d’inondation de famine”.

Opérationnaliser au plus vite

Mais pour que cette innovation donne la pleine mesure de ses capacités, il faut l’opérationnaliser.

Selon François Zougmoré, si cette technique venait à être opérationnalisée, “un paysan sur son téléphone portable, pourrait interroger une base de données et savoir quelle est la quantité de pluie qui vient de tomber.”

“Nous ne faisons pas de prévision, mais nous donnons la quantité de pluie mesurée. Les paysans attendent parfois la pluie pour semer. L’information sur les quantités de pluie pourra leur permettre de prendre la bonne décision et de gérer leur saison, mais c’est l’opérationnalisation qui permettra cela. Si on a les informations, on les traitera au jour le jour et cela sera possible en temps réel.”

Selon le chercheur, l’aspect scientifique est réglé, il reste à passer à l’opérationnalisation et cette phase pourrait être sponsorisée par un opérateur ou des autorités politiques.

Ali Doumounia insiste pour sa part sur les avantages de la technique: “Elle est très avantageuse. Elle ne nécessite pas de coût pour les opérateurs de téléphonie mobile ni pour les laboratoires. Nous avons juste besoin des moyens techniques et de personnes bien décidées pour la mettre en œuvre.

Les chercheurs lancent donc un appel aux compagnies de téléphonie mobile opérant sur le continent afin qu’elles coopèrent et mettent les données sur l’affaiblissement de leurs signaux à leur disposition.
L’opération, insistent-ils, n’a aucune incidence sur le réseau et ne provoque aucune perturbation.

Pour la mise en œuvre de cette technologie, un consortium a été mis en place comprenant l’université de Ouagadougou, le West African Science Service Center on Climate Change and Adapted Land Use (WASCAL), l’IRD, le Karlsruhe Institute of Technology et Garmisch-Partenkirchen en Allemagne.
Ces différentes entités font partie de Rain Cell Burkina, précurseur de Rain Cell Africa.

En novembre prochain, un premier atelier sera organisé à Ouagadougou sur la quantification de la pluie a partir des liens hertziens commerciaux.

Plus